Alexandra Del-Peral reviews The Committed for Le Soleil.
Plutôt universalisme français ou multiculturalisme américain ? Ni l’un ni l’autre, répond l’écrivain vietnamo-américain Viet Thanh Nguyen, prix Pulitzer 2016, de retour en librairie avec Le dévoué, un roman d’espionnage qui étrille impérialisme américain et colonisation française.
Sorti fin octobre en français, Le dévoué — The Committed, sorti en mars aux États-Unis — est la suite du Sympathisant (2015), son premier roman vendu à plus d’un million d’exemplaires, et qui a raflé le prestigieux prix Pulitzer et le prix du meilleur livre étranger en France.
«En le terminant, j’ai eu la sensation que je n’en avais pas encore fini avec mon personnage même si l’idée de départ n’était pas de poursuivre cette histoire», explique à l’AFP l’écrivain de 50 ans.
Qualifié par la critique de grand livre sur la guerre du Vietnam (1955-1975) vue du côté vietnamien, Le sympathisant raconte l’histoire d’un agent double vietnamien, fils d’un prêtre catholique français et d’une Vietnamienne.
Dans Le dévoué, le lecteur retrouve l’agent double à Paris, où il s’est réfugié au début des années 1980. Hanté par les crimes qu’il a commis, il tente de refaire sa vie en devenant… revendeur. Mais la route vers la rédemption est semée d’embûches et il est pris pour cible par un gang de dealers algériens.
Réfugié aux États-Unis
Si descriptions et dialogues frisent souvent le burlesque, reste, en filigrane, cette question: pourquoi Algériens et Vietnamiens, deux communautés colonisées par la France, cherchent-elles à s’entretuer plutôt qu’à se rassembler derrière une expérience commune ?
Né au Vietnam, Viet Thanh Nguyen arrive aux États-Unis avec ses parents à l’âge de 5 ans, en 1975. De son pays natal ou de la guerre, il ne garde presque aucun souvenir. Seules quelques scènes fugaces dans le camps de réfugiés où il avait été séparé de ses parents en arrivant aux États-Unis ne l’ont jamais quitté. «J’ai tenté d’oublier pour me protéger et pour pouvoir avancer», dit-il.
Quelques années plus tard, la famille s’établit en Californie. En grandissant, il se réfugie dans les livres et écrit ses premières fictions.
S’il affirme que «la littérature (l)’a sauvé», il raconte également avoir découvert très tôt son pouvoir «destructeur»: «En tant que lecteur précoce, je m’aventurais hors de la section enfant pour lire des livres sur le Vietnam. Mais voilà, les livres étaient majoritairement écrits par des soldats américains qui décrivaient les Vietnamiens de façon très négative.»
Cette expérience va être décisive. À la fin du secondaire, il s’engage dans des études de littérature à l’Université de Californie du sud (où il enseigne aujourd’hui) et se spécialise sur la question des mémoires, notamment post-coloniales.
En parallèle à l’enseignement, il publie plusieurs textes. Mais c’est Le sympathisant qui fait de lui, à 44 ans, une star de la littérature américaine et un porte-parole de la cause des réfugiés dans le monde.
Souffle romanesque
La critique s’enthousiasme pour cette nouvelle voix venue dépoussiérer l’imaginaire américain sur le Vietnam. Elle loue aussi un écrivain au souffle romanesque servi par un savant mélange des genres: espionnage, policier, roman confession…
«Je veux que mes histoires soient aussi créatives que politiques. Je pense qu’on peut divertir tout en parlant de sujets importants», argue-t-il.
Cette volonté de remettre en cause les imaginaires coloniaux est au cœur de son travail littéraire. D’ailleurs, Le dévoué ne parle pas seulement du Vietnam mais aussi de l’Algérie, ex-pays colonisé par la France.
Selon lui, c’est précisément en parlant de ces sujets que des pays comme la France ou les États-Unis pourront faire face aux débats identitaires qui les secouent: «Se borner à parler uniquement des crises identitaires, c’est se concentrer sur les symptômes. En procédant ainsi, on ne comprendra jamais les problèmes actuels, qui sont des problèmes politiques.»