Winner of the Pulitzer Prize

« Les Réfugiés » : exilés en Amérique

Philippe Chevilley writes about Viet Thanh Nguyen’s The Refugees for Les Echos Week-End

« Les Réfugiés »  : exilés en Amérique Basso Cannarsa/Opale via Leemage

Littérature : À 48 ans, Viet Thanh Nguyen est déjà un écrivain accompli. Après le coup de maître du Sympathisant (prix Pulitzer 2016), premier roman fleuve décryptant la guerre du Vietnam à travers le récit hallucinant d’un singulier agent double, le Californien d’adoption montre qu’il excelle également dans l’art de la nouvelle. Les Réfugiés, recueil de huit histoires mettant en scène des Vietnamiens ayant fui le régime communiste pour tenter un nouveau départ aux Etats-Unis, offre un concentré d’émotion et d’humanité.

Dès la première nouvelle, l’auteur, qui a connu un destin comparable à celui de ses personnages, nous plonge dans un monde fantomatique, réveillant les douleurs du passé. « Femmes aux yeux noirs » a pour héroïne une jeune écrivaine vendant sa plume à des victimes d’accidents ou des rescapés miraculés ayant perdu leurs proches. Imprégnée des histoires fantastiques de sa mère, elle est à peine surprise quand elle reçoit la visite de son jeune frère décédé – trempé parce qu’il a traversé la mer. Nimbé d’une brume onirique ensorcelante, cette « ghost story » a l’étoffe d’un chef-d’oeuvre. Viet Thanh Nguyen fait preuve de la même délicatesse dans son second récit « L’Autre Homme », où un jeune réfugié à peine conscient de son homosexualité est hébergé par un couple gay de San Francisco. Pour résumer la déchirure de l’exil, les coups de poignard de la nostalgie et la difficile adaptation à l’American way of life, l’écrivain fait feu de tout bois, créant un patchwork de personnages attachants, au sang plus ou moins mêlé, en situation de crise.

AMOUR DE L’HUMANITÉ

De Madame Hoa, pathétique militante d’une reconquête du Vietnam par une armée de l’ombre, à l’énigmatique escroc Louis Vu, de Michoko, l’Afro-américano-japonaise, qui se découvre une âme vietnamienne, à Phuong, la jeune fille de Saigon éblouie par sa demi-soeur de Chicago, l’écrivain multiplie les points de vue, confronte les désirs, les colères et les regrets inavoués de ses réfugiés et de leurs proches. Si proches et si lointains à la fois. À force de sonder les coeur et les âmes, il décèle les brèches ouvertes dans le mur qui sépare les deux cultures. Viet Thahn Nguyen est un prodigieux conteur, un moraliste qui cherche à transmettre son amour de l’humanité. Comme dans le déchirant « I’d Love You To Want Me », où une femme, confrontée aux pertes de mémoire de son mari atteint de la maladie d’Alzheimer, accepte d’être confondue avec une autre – probable amour de jeunesse. Exilés en Amérique pour le meilleur et pour le pire, les réfugiés iront ensemble sans faillir jusqu’au bout du chemin.

Les Réfugiés, de Viet Thanh Nguyen, nouvelles traduites de l’américain par Clément Baude. Belfond, 205 p., 20 EUR. En parallèle, Belfond publie Jamais rien ne meurt, un essai du même auteur sur la mémoire individuelle et collective de la guerre du Vietnam, finaliste du National Book Award.

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