Winner of the Pulitzer Prize

The shock of Pulitzer

Francois Lestavel reviews The Sympathizer by Viet Thanh Nguyen and the Underground Railroad by Colson Whitehead. Originally published by Paris Match

The Sympathizer by Viet Thanh Nguyen, French cover. Underground Railroad by Colson Whitehead, English cover.

Deux romanciers passent l’histoire de l’Amérique au crible de ses minorités. Décapant !

“Le sympathisant” de Viet Thanh Nguyen, 46 ans
Prix Pulitzer 2016

Viet Thanh Nguyen © Claire Delfino
Viet Thanh Nguyen © Claire Delfino

L’histoire. 1975, alors que les GI de l’Oncle Sam fuient Saigon sous les assauts de l’armée de l’oncle Hô, l’aide de camp d’un général sud-vietnamien enrage de devoir s’envoler pour l’Amérique. Et pour cause : agent communiste infiltré auprès du haut commandement, il a reçu l’ordre de suivre les affreux impérialistes dans leur exil, afin de mieux surveiller ces traîtres et de couper court à leurs velléités de revanche. Observateur amer de cette communauté d’apatrides et du mode de vie yankee, la taupe va pourtant devoir s’impliquer plus qu’elle ne le voudrait, jusqu’à commettre des assassinats.
Le style. A travers la confession d’un homme en colère, Viet Thanh Nguyen embrasse tous les genres : thriller à suspense, satire acide, drame, histoire d’amitié et de trahison, sans que jamais l’unité du récit en souffre. « Je souhaitais écrire un roman d’espionnage car c’est un genre que j’adore, nous confie-t-il. Je voulais qu’il soit divertissant, amusant, tout en étant sophistiqué et psychologiquement complexe. » Pari gagné : humour ravageur et drame atroce se côtoient dans ce récit où le détonant choc des cultures recèle autant de comédie que de tragédie.
La scène phare. La parodie d’« Apocalypse Now » : l’espion à la solde de Hanoï doit occuper le rôle d’interprète auprès des figurants vietnamiens et tente d’expliquer au Grand Réalisateur que ses compatriotes ne s’expriment pas uniquement en poussant des cris de sauvage. « Même s’ils sont antimilitaristes, tous les films tournés à cette époque, que ce soit ceux de Coppola, de Cimino ou de Stone, demeurent racistes dans la mesure où ils ne voient le Vietnam que comme le décor d’un traumatisme américain, constate Nguyen. J’espère que mon roman contrebalancera un peu cette propagande ! »

Notre verdict. Un livre irrespectueux et sarcastique qui, avec les éléments du roman populaire, touche à la grande littérature.

The Sympathizer by Viet Thanh Nguyen, French cover

« Le sympathisant », éd. Belfond, 504 pages, 23,50 euros.

“Underground Railroad” de Colson Whitehead, 47 ans
Prix Pulitzer 2017

Colin Whitehead © Marguerite Whitehead
Colin Whitehead © Marguerite Whitehead

L’histoire. Esclave en Géorgie, Cora, 16 ans, n’a jamais revu sa mère qui, des années plus tôt, s’était fait la belle de la plantation où elle trimait. Avec l’aide de Caesar, un jeune Noir intrépide et audacieux, elle réussit elle aussi à s’échapper de cet enfer de violence en empruntant des routes secrètes qui mènent les fugitifs vers la liberté. Mais chaque étape de cette fuite est un chemin de croix semé de pièges mortels. D’autant que l’implacable chasseur de primes Ridgeway s’est lancé, tel un diable, à leurs trousses.

Le style. En matérialisant le légendaire Underground Railroad – ce réseau clandestin qui aidait les fuyards à rejoindre le Nord –, Colson Whitehead a choisi de placer son récit sur le mode de la fable onirique. Une façon habile de tenir en respect l’insoutenable cruauté de l’esclavage, qui déshumanise l’homme en le rabaissant au niveau d’une marchandise. Whitehead démonte l’infernale logique de la production de coton au nom de laquelle lynchages, viols, castrations ont pu être commis en toute impunité. Des crimes absous par des lois iniques que l’auteur rappelle à travers d’authentiques avis de recherche placardés entre les chapitres. Son roman, qui est aussi un grand pamphlet politique, nous parle de résistants et de collabos, de milices sanguinaires et de fantasmes sur la pureté de la race blanche qu’il ne faudrait pas souiller. Toute ressemblance avec les démons qui rongent encore l’Amérique d’aujourd’hui ne serait pas forcément fortuite…

La scène phare. Cachée telle Anne Frank dans un grenier de Caroline du Sud, Cora tremble pour sa vie au moindre bruit. Et observe de là-haut les sinistres fêtes nocturnes où des Blancs grimés font rire la foule en se moquant de la supposée bêtise des « nègres ». Terrorisée, elle assiste, impuissante, au clou du spectacle : de joyeuses scènes de lynchages auxquels même les c h a r m a n t e s t ê t e s blondes sont conviées.

Notre verdict. Amateurs d’« Autant en emporte le vent », passez votre chemin. Ce roman démontre que la mythique « plantation heureuse » n’est qu’une sordide farce !

Underground Railroad by Colson Whitehead.

« Underground Railroad », éd. Albin Michel, 416 pages, 22,90 euros.

Share

More Reviews