Winner of the Pulitzer Prize

Le Devoir Reviews The Sympathizer

Christian Desmeules writes a review of Viet Thanh Nguyen’s The Sympathizer for the French-language and Montreal-based publication, Le Devoir.

Photo: Roland-Pierre Paringaux Archives Agence France-Presse Des soldats nord-vietnamiens sur un char d’assaut à Da Nang, au mois d’avril 1975, alors que la ville est assiégée par le Vietcong.
Image credits to Roland-Pierre Paringaux Archives Agence France-Presse
Des soldats nord-vietnamiens sur un char d’assaut à Da Nang, au mois d’avril 1975, alors que la ville est assiégée par le Vietcong.

Depuis l’évacuation de Saigon en 1975 et les derniers jours de la république du Vietnam jusqu’au tournage du film Apocalypse Now à la fin de la même décennie, Viet Thanh Nguyen emprunte une perspective américaine plutôt rare sur la guerre du Vietnam, en nous la donnant en quelque sorte à voir de l’intérieur.

Réfugié arrivé aux États-Unis à l’âge de quatre ans, détenteur d’un doctorat de Berkeley, aujourd’hui professeur de littérature à l’Université de Californie du Sud, Viet Thanh Nguyen a conçu son premier roman comme une sorte d’anti-Apocalypse Now. Un roman nourri des théories marxistes importantes à ses yeux et dans lequel les Vietnamiens ne font pas que de la figuration. Le sympathisant lui a valu le prestigieux prix Pulitzer de la fiction en 2016.

« Je suis un espion, une taupe, un agent secret, un homme au visage double », commence le narrateur de cette longue confession. Enfant illégitime et métis, né du croisement d’un prêtre catholique français et d’une adolescente vietnamienne, devenu aide de camp et officier de renseignement au sein de la police secrète du Vietnam du Sud après avoir été formé aux États-Unis, le narrateur est aussi, depuis un pacte fait avec un ami d’enfance, un agent infiltré des forces communistes vietnamiennes.

Il avait passé six années idylliques dans une université de la Californie du Sud des années soixante, heureux dans « ce monde délicieux et abruti de soleil ». Mais où tout n’était pas parfait. « J’avais beau être à moitié asiatique, dès qu’il s’agissait de la race, en Amérique, c’était tout ou rien. Soit vous étiez blanc, soit vous ne l’étiez pas. »

Réfugié aux États-Unis, installé en Californie dans l’entourage de son ancien patron, le général qui dirigeait la police secrète, recyclé quant à lui dans le commerce d’alcool au détail et dans la restauration, il continue à servir ses deux maîtres et sera chargé d’éliminer sans faire de vagues d’anciens compagnons de route qui n’avaient plus la confiance du général. « Dans notre pays, tuer un homme — ou une femme, ou un enfant — était aussi simple que tourner la page de son journal le matin. Il suffisait d’avoir une excuse et une arme, deux choses que trop de gens, dans les deux camps, possédaient. »

À titre d’agent double, il va rédiger méthodiquement, à l’encre invisible (on parle aussi parfois d’encre « sympathique »), pour les forces communistes, de longues lettres à l’apparence banale destinées à la tante d’un ami installée à Paris. Mais rapidement, il va aussi devenir conseiller technique pour un film hollywoodien qui plonge dans la guerre du Vietnam — ouvertement inspiré de celui de Francis Ford Coppola. Et c’est au cours d’un long séjour aux Philippines pour le tournage du « Film » que va s’amorcer pour lui une véritable descente aux enfers.

Plus tard, au cours d’une « mission de la dernière chance », un retour au Vietnam via la Thaïlande, les communistes vont lui demander des comptes. « Les révolutionnaires sont des insomniaques, trop effrayés par le cauchemar de l’Histoire pour pouvoir dormir, trop troublés par les maux du monde pour ne pas rester éveillés… »

Viet Thanh Nguyen, 46 ans, est solidement installé aux commandes d’un monologue puissant. Accroché aux lèvres de ce personnage clair-obscur, à la fois acteur, témoin, récitant, double, le lecteur baigne en permanence dans l’ambiguïté, l’inconfort. Aux prises avec sa conscience, cet antihéros, trop conscient de la méfiance qu’il suscite par sa dualité, nous fait le récit de sa propre dérive.

Roman sur le Vietnam, certes, mais roman qui aborde aussi de front, avec une franchise rare, la réalité de l’immigration aux États-Unis. L’Américain de 46 ans, qui a lui-même quitté ce pays du Sud-Est asiatique en 1975 avec sa famille parmi d’autres boat people, sait visiblement de quoi il parle.

Roman de guerre, thriller d’espionnage à la Graham Greene, procès de l’American dream livré du point de vue des immigrants d’origine asiatique, trajectoire d’une conscience coincée entre le napalm des uns et l’autocritique des autres, Le sympathisant laisse des traces. Et le roman, on le sait déjà, aura une suite.

Une exploration habile d’un entre-deux mondes.

« Réfugiés, exilés, immigrés — quelle que fût la catégorie d’êtres humains à laquelle nous appartenions, nous ne vivions pas simplement dans deux cultures à la fois, comme l’imaginaient les thuriféraires du grand melting pot américain. Les déplacés vivaient aussi dans deux fuseaux horaires à la fois, l’ici et le là-bas, le présent et le passé, récalcitrants voyageurs dans le temps qu’ils étaient. »Extrait de «Le sympathisant»

Share

More Reviews